Le programme du droit à la location : Les propriétaires en tant qu’agents d’immigration

Adrian Berry

Avocat à la Garden Court Chambers

Une version plus courte de cette article  a été publié dans le "Legal Action magazine" au Royaume Uni; puis elargi pour son blog, Cosmopolis: Migration, Citizenship, and Free Movement

 

Un environnement hostile

Le programme du droit à la location s’inscrit dans le cadre d’une initiative du gouvernement britannique, via des actions législatives et administratives, en vue de faire du Royaume-Uni un environnement hostile pour les migrants sans papiers qui ne sont pas résidents légaux. D’autres parties de l’initiative concernent l’accès à un compte en banque et au permis de conduire.

S’ajoutant aux mesures existantes prises pour éliminer le travail sans permis et interdire l’accès à l’aide sociale, cette initiative semble vouloir placer les migrants sans papiers dans des situations compliquées où ils sont sans domicile ou obligés de vivre dans des logements cachés et précaires, travailler pour des employeurs abusifs et vivre au jour le jour avec le peu d’argent qu’ils ont.

Par conséquent, les migrants sans papiers peuvent fréquenter les mêmes endroits que les citoyens britanniques et d’autres résidents légaux, vivre dans les mêmes quartiers et travailler dans les mêmes bâtiments (parfois la nuit pour nettoyer les bureaux et les magasins), mais ils doivent vivre dans un monde parallèle et disparaître de la vue du public. En les excluant de la participation dans la société de cette façon hostile, le gouvernement espère leur mettre la pression pour quitter le Royaume-Uni ; toutefois, dans la plupart des cas, ces mesures impliqueront simplement que ces personnes disparaîtront du radar du gouvernement, qui ne saura plus où elles sont ou ce qu’elles font. Loin des yeux, loin du cœur peut-être. Mais pas loin du Royaume-Uni.

Le programme du droit à la location

Le programme du droit à la location oblige les propriétaires à travailler comme des agents d’immigration et vérifier le statut des occupants de lieux résidentiels, en vertu des sections 20-37 de la Loi de 2014 sur l’immigration. La sanction pour le fait de permettre à un adulte, non-qualifié sur base de son statut d’immigration, d’occuper un hébergement dans le cadre d’un contrat de location, est l’imposition d’une pénalité civile. En prouvant que les papiers du migrant ont été contrôlés et copiés conformément aux exigences prévues (une procédure qui oblige le propriétaire à confirmer l’identité du migrant ainsi que son droit à la location), un propriétaire peut établir une excuse statutaire en vue de ne pas devoir payer l’amende.

Dans le cadre de ce programme, un propriétaire doit contrôler et copier les documents d’identité de tous les occupants d’un logement fourni dans le cadre d’un contrat de location résidentielle. Ainsi, les citoyens britanniques, comme les autres, doivent montrer leurs « papiers ». Dans la pratique, cela implique qu’un citoyen britannique doit montrer son passeport (un document dont l’objectif est de faciliter les voyages à l’étranger) et l’utiliser comme carte d’identité pour prouver qu’il est autorisé à occuper un logement résidentiel.

Les rouages du programme

Ce programme gouverne les contrats de location résidentielle qui accordent un droit d’occupation à un ou plusieurs adultes (en tant que leur seule ou principale résidence) et qui prévoient le paiement d’un loyer. Les locations et licences s’inscrivent dans le cadre du même programme. Dans la pratique, le programme s’applique aux contrats de location résidentielle dans le secteur privé ; la troisième section de la Loi de 2014 prévoit des catégories de contrats qui sont exclues du programme et qui englobent les contrats de location résidentielle dans le secteur public ou dans le cadre d’une fonction publique.

Les citoyens britanniques, les ressortissants d’autres pays de l’Espace économique européen (EEE) et les ressortissants suisses doivent uniquement prouver leur nationalité pour pouvoir justifier leur droit d’occupation d’un logement ; les ressortissants d’autres pays doivent prouver leur droit de location, conformément à la section 21, paragraphe 5, de la Loi de 2014. Si une personne a besoin d’un permis pour entrer ou rester dans le Royaume-Uni et ne l’a pas, ou si le permis de la personne dépend d’une condition qui empêche son occupation des lieux, cette personne ne jouit pas du droit de location. Concernant les personnes qui ne jouissent pas du droit de location, le Secrétaire d’État à l’Intérieur a le pouvoir d’accorder le permis d’occuper les lieux.

Si une personne possède un permis temporaire de séjour, et si cette personne est un membre d’une famille ressortissante d’un pays n’appartenant pas à l’EEE exerçant le droit de résidence dans l’UE, cette personne a un droit temporaire de location ; une personne qui séjourne légalement au Royaume-Uni sans restriction de temps jouit d’un droit non-consolidé de location. Les propriétaires n’ont pas le droit d’autoriser un adulte à occuper les lieux dans le cadre d’un contrat de location résidentielle si cette personne ne jouit pas du droit de location en raison de son statut d’immigrant.

Les propriétaires doivent contrôler les documents d’immigration et de nationalité d’une personne avant de pouvoir lui faire signer un contrat de location résidentielle, consulter l’ordonnance sur l’immigration SI 2874/2014 (hébergement résidentiel) (conditions et codes de pratique) ainsi que l’ordonnance sur l’immigration 2873/2014 (hébergement résidentiel) (cas déterminés); également consulter le code de pratique sur les immigrants en situation irrégulière et les logements locatifs privés ainsi que le code de pratique pour les propriétaires afin d’éviter toute discrimination lorsqu’ils réalisent des contrôles relatifs au droit de location dans le secteur locatif privé.

L’interdiction d’accorder un droit d’occupation dans le cadre d’un contrat de location résidentielle à des personnes ne jouissant pas du droit de location porte sur (i) les locataires, et (ii) autres adultes nommés dans le contrat, ainsi que sur (iii) les autres adultes non nommés (lorsque des enquêtes raisonnables relatives aux occupants du logement n’ont pas été réalisées, ou ont été réalisées et qu'il apparaissait que la personne était bel et bien occupante du logement).

L’interdiction d’accorder un droit d’occupation s’étend à une situation où un contrat de location résidentielle accorde un droit d’occupation à un adulte avec un droit limité de location et que cet adulte perd par la suite son droit de location à cause de son statut d’immigré mais continue d’occuper les lieux.

Lorsqu’une famille avec des enfants mineurs occupe un logement dans le cadre d’un contrat de location résidentielle, les enfants ne sont pas règlementés par le programme. Toutefois, un propriétaire peut refuser le permis d’occupation d’un logement à un adulte ne jouissant pas du droit de location par crainte d’une sanction civile ou de poursuites pour une infraction pénale ; par conséquent, une famille peut être obligée de se séparer et un enfant peut perdre un parent de son logement. Ce type de situation est inhérent à la conception du programme. Cela devrait être une source de honte pour les ministres, le ministère de l’Intérieur et les politiciens responsables de son introduction.

Lorsqu’une personne ne jouissant pas du droit d’occupation occupe un logement dans le cadre d’un contrat de location résidentielle, le secrétaire d’État à l’Intérieur peut donner au propriétaire un avis demandant le paiement d’une amende (allant jusqu’à 3.000 Livres sterling par personne).

Lorsque le statut d’immigration était problématique avant la signature du contrat de location résidentielle, la base sur laquelle un propriétaire peut établir une excuse statutaire et éviter l’amende est le fait de déterminer si le propriétaire a rempli les conditions relatives aux contrôles et a gardé des copies des documents d’identité et d’immigration de la personne, conformément à la section 24(2)(a) de la Loi de 2014.

Lorsqu’un contrat de location résidentielle est en cours et qu’un adulte jouissant d’un droit limité de location et occupant les lieux se voit destituer de son droit de location (par exemple lorsque son droit de séjour vient à expiration), une excuse statutaire pour éviter l’amende est établie lorsque le secrétaire d’État à l’Intérieur est averti de la situation le plus rapidement possible, conformément à la section 24(6)(a) de la Loi de 2014.

Lorsqu’un agent agit pour un propriétaire d’un commun accord et assume la responsabilité des contrôles relatifs au droit de location, l’agent en question doit assumer toute erreur éventuelle, conformément à la section 25(2) de la Loi de 2014. Le secrétaire d’État à l’Intérieur peut donner une amende à cet agent. Comme c’est le cas pour un propriétaire, un agent peut établir une excuse statutaire pour éviter de payer l’amende.

Les notifications d’amendes doivent inclure les informations justifiant cette amende, le montant à payer, et les informations relatives aux procédures d’appel. Lors de la réception de cette notification, il existe une procédure d’examen administratif où un propriétaire ou agent peut contester l’amende, affirmer avoir établi une excuse statutaire et refuser de payer la somme en question. Après analyse de cet appel, le secrétaire d’État à l’Intérieur peut annuler, réduire ou augmenter l’amende, ou peut décider de ne pas modifier l’amende. Un propriétaire ou agent dont l’appel n’a pas été retenu peut, par la suite, faire appel auprès de la cour du comté en vue d’annuler ou de réduire l’amende pour les mêmes motifs. Une amende imposée légalement est recouvrable comme si elle avait été ordonnée par décision judiciaire.

Innovations au niveau de la Loi de 2016 sur l’immigration

La loi de 2016 sur l’immigration (ci-dessous appelée « Loi de 2016 ») ajoute de nouvelles dispositions au programme du droit de location. Il est difficile de déterminer la base des innovations de la Loi de 2016 : le programme était encore à ses balbutiements lorsque ces innovations ont été approuvées, il avait commencé à être mis en œuvre dans certaines autorités locales des West Midlands à partir du 1er décembre 2014 et avait été étendu au niveau national le 1er février 2016. À ce moment-là, le projet de loi qui est devenu la Loi de 2016 était en cours d’adoption par le Parlement européen, et il était trop tôt pour affirmer si le programme allait être mis en œuvre de façon efficace pour réaliser ses objectifs. Toutefois, de nouvelles dispositions ont été ajoutées.

La Loi de 2016 introduit différentes dispositions visant à durcir le programme. Les nouvelles dispositions concernent la perpétration d’infractions pénales et la base sur laquelle un propriétaire peut récupérer son logement. En outre, des changements ont été apportés à la protection de la Loi de 1977 sur les expulsions, la Loi de 1977 sur la location et la Loi de 1988 sur le logement. Les dispositions sont entrées en vigueur le 1er décembre 2016 et doivent se lire conjointement avec les règlementations de 2016 relatives à l’immigration (logement résidentiel) (Résiliation de contrats de location résidentielle).

Nouvelles infractions pénales

Une infraction pénale est créée lorsqu’un propriétaire sait ou dispose de raisons valables de penser que les lieux sont occupés dans le cadre d’un contrat de location résidentielle par un adulte ne jouissant pas du droit à la location en raison de son statut d’immigré, conformément à la section 33A de la Loi de 2014. Une infraction similaire est créée par rapport aux agents, conformément à la section 33B de la Loi de 2014. Ces infractions peuvent faire l’objet d’une procédure sommaire ou d’une mise en accusation. Dans ce dernier cas, une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans peut être imposée, conformément à la section 33C de la Loi de 2014.

Recouvrement de possession

Par ailleurs, dans le cadre de la Loi de 2016, d’autres réglementations sont imposées sur les contrats de location, en vue de permettre aux propriétaires de récupérer leur logement plus rapidement lorsqu’un adulte ne jouissant pas du droit à la location occupe les lieux, conformément à la section 33D de la Loi de 2014. Cette disposition porte atteinte à la protection des locataires et autres occupants.

Lorsque tous les occupants des lieux se voient refuser le droit à la location en raison de leur statut d’immigration, un propriétaire peut résilier le contrat de location résidentielle lorsqu’il reçoit un avis par écrit du secrétaire d’État à l’Intérieur lui informant que l’occupant ou les occupants ne jouissent pas du droit à la location en raison de leur statut d’immigration qui les empêche d’occuper les lieux dans le cadre d’un contrat de location résidentielle, conformément à la section 33D(1)–(2) de la Loi de 2014. Ensuite, le propriétaire peut résilier le contrat de location résidentielle en donnant un préavis aux occupants, conformément à la section 33D(3) de la Loi de 2014. Cet avis doit être traité comme un avis de quitter les lieux et est exécutable comme s’il s’agissait d’un arrêté de la Haute Cour, conformément à la section 33D(6)–(7) de la Loi de 2014.

En outre, lorsque le secrétaire d’État à l’Intérieur a informé le propriétaire que les occupants n’ont pas le droit d’occuper les lieux en raison de leur statut d’immigration, que le contrat de location résidentielle a été résilié à la suite du préavis du propriétaire, il n’est pas nécessaire d’obtenir un arrêté de la cour pour que le propriétaire récupère son logement car la location ne s’inscrit pas dans le cadre de la protection des expulsions, conformément à la section 3A(7D) sur la protection de la Loi de 1977 sur les expulsions, tel qu’inséré par la section 40(5) de la Loi de 2016. On ne sait pas bien si un propriétaire peut récupérer son logement de façon pacifique ou si des agents chargés de l’application de la décision de la Haute cour doivent intervenir. Si un propriétaire peut agir sans l’aide de la Cour, certaines expulsions pourraient être illégales.

Par ailleurs, dans le cas d’une location garantie en vertu de la Loi de 1988 sur le logement, lorsque le secrétaire d’État à l’Intérieur a informé le propriétaire que les occupants n’ont pas le droit d’occuper les lieux en raison de leur statut d’immigration, la location est résiliée moyennant un préavis du propriétaire informant le locataire que le contrat de location résidentielle est résilié, conformément à la section 5(1)(d)de la Loi de 1988, tel qu’inséré par la section 40(6) de la Loi de 2016. Ensuite, le propriétaire peut récupérer son logement sans avoir besoin d’arrêté de la cour.

La Loi de 2016 prévoit également d’autres procédures pour résilier un contrat de location résidentielle. Par conséquent, il existe une condition implicite dans le contrat de location résidentielle selon laquelle le propriétaire peut résilier le contrat de location si les lieux sont occupés par un adulte qui ne jouit pas de droit à la location en raison de son statut d’immigration, conformément à la section 33E de la Loi de 2014.

Dans le cadre d’un contrat de location résidentielle relatif à une location protégée ou statutaire, et lorsqu’un locataire ou occupant ne jouit pas du droit à la location en raison de son statut d’immigration, le cas Case 10A a été introduit dans la 1ère partie (cas dans lesquels la Cour peut ordonner la possession) de l’annexe 15 de la Loi de 1977 sur la location, en vue de faciliter le recouvrement de possession d’un propriétaire.

Concernant un contrat de location résidentielle relatif à une location garantie où un locataire ou occupant ne jouit pas du droit à la location en raison de son statut d’immigration, le motif 7B a été introduit à la 1ère partie (motifs pour lesquels la Cour peut ordonner la possession) de l’annexe 2 à la Loi de 1988, en vue de faciliter le recouvrement de possession d’un propriétaire.

Par conséquent, les propriétaires bénéficient de plusieurs solutions pour récupérer leur logement ; les locataires et occupants qui se voient refuser l’occupation des lieux sont vulnérables à l’utilisation de ces solutions et bénéficient de moins de protection que les citoyens britanniques et d’autres résidents légaux.

L’environnement hostile revisité

Pauvres indigents tout nus, où que vous soyez,

Vous que ne cesse de lapider cet impitoyable orage,

Têtes inabritées, estomacs inassouvis, comment,

Sous vos guenilles trouées et percées à jour, défendez-vous

Contre des temps pareils ?

Lear dans le Roi Lear, Acte 3, Scène 4.

 

Il est simplement trop tôt pour déterminer si le programme du droit à la location est mis en œuvre de façon efficace. Il s’inscrit dans le cadre d’une initiative du gouvernement pour créer un environnement hostile pour les migrants en situation illégale. S’ils ne se retrouvent pas sans domicile à cause de ce programme, il se retrouveront au moins incapables de trouver un logement décent et se retrouveront à la merci de propriétaires peu scrupuleux prêts à fournir des hébergements précaires, pratiquer des prix indécents et les exploiter comme des occupants qui n’ont pas d’autre solution.

Pour ce qui est de créer du danger, de l’exploitation et du risque pour les personnes vivant au Royaume-Uni, cette initiative pourrait être couronnée de succès. Toutefois, cette pression placée sur les personnes pour trouver un toit au-dessus de leurs têtes, comme d’autres éléments de cette initiative tels que l’accès limité aux comptes bancaires et aux permis de conduire, ne les forcera probablement pas à quitter le Royaume-Uni. Les personnes qui sont passées par les difficultés liées à la migration illégale ont connu des épreuves plus difficiles et disposent de ressources qui pourraient surprendre la population sédentaire. Il est bien plus probable de voir l’émergence d’un monde parallèle où les personnes en situation illégale mènent des vies misérables dans des logements cachés, travaillant au noir pour un salaire minimum, dans une société parallèle à celle qui les entoure.

 

Les propriétaires doivent-ils contrôler le statut juridique des migrants louant un appartement dans votre pays ? Peuvent-ils faire l’objet de sanctions s’ils louent leur logement à des migrants en situation illégale ?  

Dites-nous s’il existe des législations similaires dans votre propre pays.   

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