Le droit au logement des migrants: législation belge et droit international

Nicolas BERNARD 

Professeur à l’Université Saint-Louis, Bruxelles

 

Posé avec une acuité particulière ces derniers mois, le phénomène migratoire ne va pas sans bouleverser nos politiques traditionnelles du logement. Que prévoit le droit en la matière ? Seront examinées successivement la législation belge et le droit international.

DROIT BELGE

I. Le demandeur d’asile

Sitôt introduite sa demande d’asile, et tout le temps que dure l’examen de celle-ci, le migrant jouit dans notre pays d’un « accueil », réglé par la loi fédérale du 12 janvier 2007 (transposant elle-même la directive européenne 2003/9/CE du 27 janvier 2003). Destiné à permettre à l’intéressé de « mener une vie conforme à la dignité humaine », cet accueil prend la forme concrètement d’une « aide matérielle » qui, au premier chef, consiste dans un « hébergement », au sein d’une « structure d'accueil communautaire ou individuelle ». En sus, ladite aide comprend les repas, l'habillement, l'accompagnement médical, social et psychologique ainsi que l'octroi d'une allocation journalière. En sus, Fedasil a pris une « instruction » en décembre 2015 établissant des « normes de qualité minimales » dans le domaine de la « sécurité des logements » ; aussi le lieu d’accueil doit-il présenter un « bon état structurel », compter une « installation de chauffage sure », être pourvu de « suffisamment de détecteurs de fumée », etc.

Pour héberger les demandeurs d’asile, il n’y a pas que la puissance publique ou ses partenaires à devoir ouvrir leur patrimoine immobilier ; le parc de logements privés peut lui aussi être sollicité. À cet effet, la loi du 2 janvier 2001 a conféré au Ministre ayant l'Intégration sociale dans ses attributions le pouvoir de « réquisitionner tout immeuble abandonné » et ce, « afin de le mettre à disposition pour l'accueil de candidats-réfugiés » (le tout, moyennant un « juste dédommagement »).

 

II. Le réfugié

La personne fraîchement reconnue comme réfugiée a deux mois maximum pour trouver un logement autonome, en dehors de la structure d’hébergement ; à défaut, il se retrouvera sans-abri. La structure d’hébergement ne saurait cependant rester passive dans l’intervalle ; à l’inverse, cette dernière à tout intérêt à l’aider à organiser sa sortie si elle veut éviter que l’intéressé ne cherche à poursuivre son séjour en son sein. Aussi, les instructions de Fedasil du 29 août 2008 chargent le centre d’hébergement de délivrer une « aide à la recherche d’un logement », qui comprend à la fois l’accès libre aux outils traditionnels en ce domaine (journaux spécialisés, internet, agences immobilières, …), la fourniture des moyens matériels nécessaires à cette prospection (téléphone, tickets de train, etc.) ainsi qu’une assistance — linguistique notamment — dans les rapports entre le réfugié et un propriétaire. Le centre veillera aussi à « préparer le résident à la transition », en l’informant sur les aspects pécuniaires (loyer et charges) et juridiques (salubrité, état des lieux, contrat de bail) d’une habitation. Enfin, le centre « peut aider » les migrants à déménager, notamment en prodiguant une série de conseils (afférents à l’ouverture des compteurs par exemple).

Par ailleurs, les étrangers autorisés à séjourner sur le territoire sont admis à faire venir leur famille… mais uniquement (ce que l’on sait moins) s’ils disposent sur le sol belge d’un « logement suffisant pour pouvoir recevoir le ou les membres de sa famille qui demandent à le rejoindre »[1]. Il s’agit de la sorte d’empêcher le regroupement familial dans l’hypothèse où l’étranger habiterait en Belgique dans des conditions de salubrité radicalement contraires à la dignité humaine, ce qui risque de placer les intéressés sous la coupe de véritables « marchands de sommeil ». Malheureusement, les normes de salubrité auxquelles cette législation renvoie sont élevées, ce qui risque de rendre impossible de facto tout regroupement familial.

 

III. Le migrant en séjour irrégulier

Le sans-papier peut-il signer un contrat de bail ? Oui ! La précarité administrative qui caractérise les migrants déboutés du droit d’asile ne les empêche aucunement de passer convention locative, ni même de faire valoir leurs droits en justice (au cas où le bailleur méconnaîtrait ses obligations). Aucune disposition civile ou judiciaire ne subordonne l’exercice de ces prérogatives-là à la régularité du statut.

Qu’en est-il maintenant du point de vue du bailleur ? Que risque-t-il, autrement dit, en passant convention avec un tel migrant ? D’un côté, est puni d'un emprisonnement (de huit jours à un an) et d'une amende (de mille sept cents euros à six mille euros), ou d'une de ces peines seulement, « quiconque aide sciemment ou tente d’aider une personne non ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d'un Etat membre […] en violation de la législation de cet Etat »[2]. D’un autre, toutefois, ces sanctions pénales tombent « si l'aide est offerte pour des raisons principalement humanitaires »[3]. Tout dépendra en fait de la hauteur du loyer ; celui-ci dépasserait-il (outrancièrement) les plafonds communément admis en la matière[4] que le bailleur, alors, serait convaincu d’exploitation de la misère d’autrui, tombant au passage sous le coup de la législation du 10 août 2005 relative aux marchands de sommeil. En revanche, un loyer correct, en phase avec les valeurs du marché (et en rapport avec la qualité de l’habitation), ne devrait pas valoir au bailleur de poursuite répressive.

 

 

DROIT EUROPÉEN

I. La condamnation (répétée) de la Belgique pour la déficience dans l’hébergement des migrants

 

a) Cour européenne des droits de l’homme, arrêt V.M. et autres c. Belgique, 7 juillet 2015

L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme prohibe les traitements inhumains et dégradants. Certes la Belgique offre-t-elle aux candidats réfugiés un hébergement durant l’examen de leur dossier, mais il est permis de s’interroger sur l’après, c’est-à-dire sur les conditions de séjour chez nous des demandeurs d’asile qui ont vu leur requête rejetée et qui, de ce fait, sont condamnés à quitter le centre d’accueil (et, théoriquement, à rentrer dans la foulée dans leur pays). Dans arrêt V.M. et autres c. Belgique, la Cour a jugé que les requérants se sont trouvés, à partir de leur expulsion du centre d’accueil, « sans moyen de subsistance », « sans logement » et « sans accès à des installations sanitaires » ; à la rue, « ils restèrent là – sans aide pour faire face à leurs besoins les plus élémentaires : se nourrir, se laver et se loger ».

Et la circonstance (susceptible de dédouaner l’État belge) que les centres d’hébergement affichaient de toute façon complet ? Elle est irrelevante, rétorque la Cour. « Nonobstant le fait que la situation de crise était une situation exceptionnelle », les autorités nationales ont « manqué à leur obligation de ne pas exposer les requérants à des conditions de dénuement extrême pendant quatre semaines ». Aussi, « les requérants ont ainsi été victimes d’un traitement témoignant d’un manque de respect pour leur dignité », étant entendu que « cette situation a, sans aucun doute, suscité chez eux des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir ». Conclusion : « de telles conditions d’existence, combinées avec l’absence de perspective de voir leur situation s’améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention et constituent un traitement dégradant »[5].

 

b) Comité européen des droits sociaux, décision Défense des enfants International c. Belgique, 23 octobre 2012

L’article 17 de la Charte sociale européenne révisée proclame le droit des mineurs à une protection sociale, juridique et économique. Sur cette base, le Comité européen des droits sociaux (chargé de contrôler le respect dû par les États parties à la Charte) a condamné la Belgique car « depuis 2009, aucun logement en centre d’accueil n’a […] été garanti aux mineurs étrangers accompagnés en séjour irrégulier (ni par le réseau de FEDASIL, ni par d’autres solutions alternatives) ». Or, « la carence persistante relative à l’accueil de ces mineurs démontre en particulier que le Gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires et appropriées pour assurer aux mineurs en question les soins et l’assistance dont il ont besoin, aussi bien que pour les protéger contre la négligence, la violence ou l’exploitation, en causant ainsi un risque sérieux pour la jouissance de leurs droits les plus fondamentaux, tels que le droit à la vie, à l’intégrité psychophysique et au respect de la dignité humaine ». De même, « le fait qu’au moins 461 mineurs étrangers non accompagnés n’aient pas été accueillis en 2011, et les problèmes posés par l’accueil inapproprié dans les hôtels, conduisent le Comité à considérer que le Gouvernement n’a pas pris des mesures suffisantes pour assurer aux mineurs étrangers non accompagnés non demandeurs d’asile les soins et l’assistance dont ils ont besoin, en exposant ainsi un nombre important d’enfants et d’adolescents à de graves risques pour leur vie et leur santé ».

 

II. Extension aux migrants en situation irrégulière de la protection offerte par la Charte sociale révisée en ce qui concerne les expulsions de camp (Comité européen des droits sociaux, décision Médecins du monde c. France, 11 septembre 2012)

À propos de la « portée de la Charte sociale européenne révisée en ce qui concerne les personnes protégées », l’Annexe à la Charte sociale européenne révisée déclare expressis verbis ne viser « les étrangers que dans la mesure où ils sont des ressortissants des autres Parties résidant légalement ou travaillant régulièrement sur le territoire de la Partie intéressée ». Pour crâne soit-elle, cette mise en garde n’a pas empêché le Comité européen des droits sociaux de condamner la France pour la façon dont elle a expulsé des Roms migrants (en situation irrégulière pour beaucoup d’entre eux) de leurs camps et installations ; entres autres, violences physiques et destructions de biens ont émaillé les interventions policières.

Comment, plus précisément, le Comité est-il parvenu à fonder en droit sa décision (vu l’Annexe) ? Par le recours à la notion de dignité humaine. On s’accorde classiquement à reconnaître que l’inconditionnalité caractérisant celle-ci récuse toute différenciation dans l’octroi des droits les plus essentiels. Ainsi, « les personnes qui ne répondent pas à la définition de l’Annexe ne sauraient être privées des droits à la vie et à la dignité que leur confère la Charte », appuie le Comité, pour lequel « la restriction figurant au paragraphe 1er de l’Annexe concerne un large éventail de droits sociaux et les affecte diversement et que cette restriction ne doit pas produire des conséquences préjudicielles déraisonnables lorsque la protection des groupes vulnérables est en jeu ».

 


[1] Art. 10, §2, al. 2, de la loi du 15 décembre 1980.

[2] Art. 77, al. 1er, de la loi du 15 décembre 1980.

[3] Art. 77, al. 2, de la loi du 15 décembre 1980.

[4] À cet effet, on se référera utilement à la grille de loyers indicative telle qu’adoptée (en première lecture) par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ce 24 novembre 2016.

[5] La Cour européenne, en configuration de grande chambre (à laquelle le gouvernement belge avait renvoyé la cause), vient cependant de revoir sa position ce 17 novembre 2016, pour décider purement et simplement de rayer l’affaire du rôle, pour des raisons étrangères au fond.

 

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