Violations du droit au logement d’une communauté rom : Le cas d’Alba Iulia en Roumanie

Autrice: Cezara David
Chargée du programme anti-discrimination
Centre for Legal Resources (CLR)
[i]

 « Il nous a jetés comme des animaux, nous disant que si nous ne retirions pas nos affaires de la maison directement, nous ne pourrions plus les récupérer. La police et la gendarmerie sont arrivées avec des chiens. »

« Des personnes sont mortes, d’autres sont tombées malades, il y a peu de temps une fille a été paralysée, et une femme a eu une attaque cardiaque et est décédée ». (Personne victime d’expulsion, interrogée en 2019 par le Centre for Legal Resources, le CLR[1])

À Alba Iulia, une ville en Roumanie, une communauté entière (environ 200 personnes) a été expulsée de force d’un immeuble à appartements sociaux (des appartements une pièce de 11 mètres carrés) en 2017. La municipalité a refusé le renouvellement de leurs baux à leur terme sans aucun motif valable. Aucune alternative n’a été proposée lors de leur expulsion, et certaines personnes ont fini dans la rue.  

Certaines des familles, qui ont réussi à acquérir les appartements dans lesquels elles vivaient depuis de nombreuses années, sont maintenant forcées par les autorités locales de vendre leurs appartements à des prix allant de 2 000 à 3 200 euros, bien en-deçà du prix du marché. Ces sommes ne leur permettent pas d’acheter d’autres biens, et ces familles se retrouvent démunies. Près de trente familles sont confrontées à ce problème. La municipalité a laissé l’immeuble dans un état de dégradation catastrophique au fil des ans. À l’heure actuelle, les quelques familles qui vivent toujours dans cet immeuble, et pour lesquelles un déménagement n’est pas une option (elles ont des revenus exceptionnellement bas, certaines sont retraitées ou souffrent d’handicap), sont toujours menacées d’expulsion, malgré qu’elles soient propriétaires de leurs appartements. Quel que soit leur choix, qu’elles acceptent l’offre ou non, elles finiront dans la rue. La procédure d’expropriation pourrait être lancée à tout moment et le gouvernement de la ville refuse de trouver une solution pour ces familles.

La communauté d’Alba Iulia est confrontée à une attitude raciste et discriminatoire de la municipalité, lorsque l’on prend en considération les conditions de cet immeuble à appartements ainsi que la nature restrictive et discriminatoire du système d’allocation des logements sociaux[2].

Roma family in Ocna Sibiului, Romania

Source: BBC News, Famille rom à Ocna Sibiului, Roumanie

 

Le système d’allocation des logements sociaux discrimine les Roms

La récente décision de la municipalité d’Alba Iulia, n° 216/2021, à savoir l’Annexe 1 qui définit les critères concernant la notation des demandes de logements sociaux à Alba Iulia pour les personnes avec leur domicile dans la ville est similaire à la précédente, datant de 2019[3]. Voici quelques points discriminatoires présents dans la Décision :

 

  • Les points obtenus dépendent des revenus du candidat. Par exemple, un revenu net entre 601 et 1400 lei[4] permet d’obtenir 30 points, alors qu’un revenu net inférieur à 142 lei[5] vaut 0 point.
  • Concernant le niveau d’éducation et/ou d’expérience professionnelle du demandeur de logement social, le niveau d’éducation joue également un rôle sur la note obtenue. Par exemple, un demandeur avec un diplôme d’enseignement supérieur obtient un maximum de 30 points (6 points dans la décision précédente), alors qu’un demandeur qui n’a pas de diplôme obtient 0 point. Or, la probabilité de trouver un emploi mieux rémunéré est plus élevée parmi les personnes diplômées, ce qui leur permettrait, hypothétiquement, de payer un loyer ou un crédit hypothécaire, mais ces personnes sont malgré tout favorisées par la municipalité.
  • Concernant la note obtenue sur la base des conditions de vie des demandeurs, la municipalité accorde 30 points aux personnes qui ont un bail enregistré auprès des autorités fiscales locales, 10 points aux personnes qui ont un bail signé chez un notaire avec une durée déterminée, 5 points aux personnes vivant temporairement dans des hébergements sociaux ou dans des centres d’hébergement.

En conclusion, les personnes et familles les plus pauvres et les plus exclues socialement ont le moins de chances d’accéder à des logements sociaux à Alba Iulia.

La situation au niveau national

La situation au niveau national en termes de critères d’accès au logement social démontre que le cas d’Alba Iulia n’est pas une exception mais bien la règle. Dans une étude[6] qui a inclus 318 villes en Roumanie, le Center for Legal Resources a révélé que dans la majorité des municipalités qui disposent de logements sociaux, les critères d’accès privilégient les personnes à plus hauts revenus et les personnes les plus diplômées par rapport à celles qui ont des revenus très bas ou qui n’ont pas de diplôme. Nombre des cas analysés incluent également un « critère d’excellence » accordant des points aux personnes qui contribuent à l’amélioration de l’image positive de la ville (comme les lauréats de prix), de façon totalement arbitraire. Pour discriminer les personnes qui devraient pouvoir accéder à des logements sociaux (selon la législation nationale), il est commun de trouver des critères qui donnent des points supplémentaires aux demandeurs qui sont des fonctionnaires ou des spécialistes/experts (comme les médecins) ou qui prouvent l’intérêt de leurs enfants pour les études. La présence de 2, 3 et 4 critères discriminatoires dans une décision prévaut, et cette réalité dénote une discrimination multiple et intersectionnelle en matière d’accès au logement social. Certaines villes incluent jusqu’à 8 critères pour une décision (comme Baia Mare ou Maramures) ou 7, comme pour Alba Iulia.

L’Organisme national de l’Égalité a jugé, dans les deux derniers cas[7], que le critère relatif à l’éducation est discriminatoire car il n’est pas proportionné par rapport à l’objectif poursuivi, et pourrait exclure des personnes qui ont un faible niveau d’éducation de l’accès au logement social. En outre, selon la Haute Cour de cassation et de justice, étant donné qu’en Roumanie, le pourcentage des personnes âgées entre 30 et 34 ans qui ont un diplôme d’enseignement supérieur n’est que d’environ 28% (Eurostat), ce critère est élitiste. Par ailleurs, la Cour indique que l’apparence neutre du critère relatif à l’éducation crée, en réalité, une forme de discrimination directe à l’encontre des Roms dans la mesure où, selon le dernier recensement (2011), seul 0,7% des Roms ont un diplôme universitaire.

Contrairement à la vocation du logement social, ces critères favorisent également les personnes qui ont des emplois ou des revenus plus élevés, ce qui discrimine clairement les Roms. Sur la base du seuil national de pauvreté, défini sur le base de la consommation en 2013, les citoyens roms sont dix fois plus menacés de pauvreté que le reste de la population. En outre, le risque de pauvreté est extrêmement élevé pour les enfants roms : leur taux de pauvreté est de 37,7%, alors que le taux national de pauvreté est de seulement 4,3%[8]. Selon l’ECRI[9], en Roumanie, « les Roms occupent les postes les plus défavorisés sur le marché du travail, la pénurie de logements sociaux perdure et les expulsions forcées des Roms de leurs installations instables sont courantes, souvent sans solutions de relocalisation ».

Cette discrimination constitue une violation du droit au logement en vertu du droit roumain et des traités internationaux.

En Roumanie, la Loi nationale relative au Logement n° 114/1996 stipule que l’accès libre au logement est un droit de chaque citoyen et définit les groupes vulnérables comme ceux dont la situation économique ne leur permet pas d’acheter ou de louer un logement dans les conditions du marché (art.2 c)). L’arrêté n° 137/2000 sur la prévention et la sanction de toutes les formes de discrimination définit également les catégories défavorisées comme les catégories de personnes qui sont dans une position d’inégalité par rapport à la majorité des citoyens à cause de leurs différences d’identité, ou qui sont victimes de marginalisation (art.4). Le droit au logement adéquat est garanti dans de nombreux traités internationaux des droits de l’homme ratifiés par la Roumanie, comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination, ainsi que des traités régionaux et la Charte sociale européenne (révisée) signée par les États membres du Conseil de l’Europe.

Le racisme à l’encontre des populations roms aggrave la discrimination structurelle

Toutefois, des rapports internationaux et nationaux démontrent, au cours des trois dernières décennies, une violation continue et systémique du droit au logement pour la population rom en Europe, notamment en Roumanie. Comme l’affirme la FRA « Il ressort clairement du présent rapport que la discrimination raciale, tant directe qu’indirecte, est l’une des raisons expliquant les mauvaises conditions de logement des Roms et des Gens du voyage dans l’UE. Les autorités locales refusent parfois l’accès aux logements sociaux en appliquant des mesures qui sont directement ou indirectement discriminatoires à l’encontre des Roms et des Gens du voyage. »[10] Outre les problématiques abordées ci-dessus se posent également les problèmes du racisme environnemental, de la ségrégation résidentielle, du logement informel et de l’absence de titres de propriété.

Conclusion

La situation des Roms à Alba Iulia constitue une violation grave des droits de l’homme. Il s’agit d’une problématique urgente qui nécessite des actions immédiates pour les familles qui vivent toujours dans l’immeuble en question et qui se retrouvent démunies alors que les autorités locales poursuivent leur projet d’expulsion de tous les Roms du centre-ville. Au lieu de protéger ses citoyens et adopter des mesures positives pour les publics défavorisés, la municipalité préfère faire l’inverse. Il est temps de responsabiliser les autorités publiques pour qu’elles remplissent leur rôle et protège les personnes vulnérables et roms de la ville.




[1] Voir l’étude de cas de la communauté rom à Alba Iulia”, Center for Legal Resources, 2019, disponible sur https://www.crj.ro/wp-content/uploads/2020/02/Studiu-locuire-romi-Alba-Iulia.pdf

[2] Voir l’étude sur l’accès au logement social et la non-discrimination, Center for Legal Resources, 2021, https://www.crj.ro/wp-content/uploads/2021/09/Policy-social-housing_EN.pdf

[3] Annexe n° 1 à la Décision de la municipalité n° 91/2019 disponible sur https://se.apulum.ro/Registratura/DetaliuHCL?nr=91&an=2019, dernier accès le 07.07.2021. Le Center for Legal Resources a introduit une pétition concernant cette décision car elle est contraire à l’Organisme national de l’égalité.

[4] Equivalent à environ 120 à 280 euros.

[5] Equivalent à environ 28 euros

[7] Voir la Décision n° 511/20.07.2016 disponible sur https://www.cncd.ro/wp-content/uploads/2020/12/hotarare-511-16.pdf; et la Décision n° 531/27.09.2017 CNCD, disponible sur https://www.cncd.ro/wp-content/uploads/2020/12/hotarare-531-17.pdf.

[8] Stratégie nationale sur l’inclusion sociale et la réduction de la pauvreté 2015-2020, disponible sur http://www.mmuncii.ro/j33/index.php/ro/2014-domenii/familie/politici-familiale-incluziune-si-asistenta-sociala/3916

[9] Rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance sur la Roumanie en 2019, disponible sur https://rm.coe.int/fifth-report-on-romania-romaniantranslation-/16809

[10] Voir le rapport de la FRA sur Les conditions de logement des Roms et des Gens du voyage dans l’Union européenne sur https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/703-Roma_Housing_Comparative-final_en.pdf




[i] * Le Centre for Legal Resources (CLR) est une organisation non-gouvernementale sans but lucratif en Roumanie qui milite activement pour l’établissement et la mise en œuvre d’un cadre juridique et institutionnel permettant de promouvoir le respect des droits de l’homme, l’égalité des chances et le libre-accès à une justice équitable, et contribuant à la capitalisation de son expertise juridique pour l’intérêt du grand public. Dans le cas d’Alba Iulia, le CLR fournit une aide juridique aux familles vivant toujours dans l’immeuble en question ; il a également introduit une plainte devant l’Organisme national de l’Égalité contre le critère discriminatoire du logement social et a représenté les personnes exclues il y a 4 ans.

 

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