L’importance du droit au logement en Europe et en Pologne

Le problème de la "financiarisation" est une menace qui pèse sur les plus grandes villes polonaises, tant en raison de l'accumulation d'appartements en tant qu'investissement en capital, que pour les besoins du tourisme. Dans un avenir proche, cette menace pourrait devenir un problème aussi grave que la tristement célèbre reprivatisation, préviennent Maria J. Aldanas et Jakub Wilczek de la FEANTSA.

Le sans-abrisme en tant que violation des droits humains

Selon la FEANTSA, le sans-abrisme est un problème qui prive les personnes concernées de leurs droits fondamentaux, notamment du droit au logement. Cette notion du logement en tant que droit humain implique le passage d’un choix politique à une obligation juridique. L’approche associative qui consiste à aider les personnes sans abri en leur proposant un hébergement d’urgence et d’autres services ne suffit plus et doit être remplacée par une approche fondée sur les droits, dans le cadre de laquelle les États doivent respecter et protéger les droits qu’ils ont ratifiés en vertu de la législation internationale relative aux droits humains. Les personnes sans abri ne sont dès lors plus considérées comme des bénéficiaires de services publics et caritatifs mais bien comme des détenteurs de droits, dont la situation met en exergue les manquements de leur gouvernement pour atteindre la pleine réalisation des droits sociaux de ses citoyens.

La pandémie du COVID-19 a démontré que l’accès au logement adéquat était indispensable pour la prévention de la maladie et sa propagation. La pandémie a également engendré une insécurité en matière de logement pour de nombreux ménages, conduisant parfois à des situations de sans-abrisme.  

Les États membres de l’UE se sont engagés à garantir le droit au logement adéquat pour tous dans le cadre des objectifs de développement durable à l’horizon 2030 et du Nouvel agenda urbain. En mars 2021, la Commission européenne a annoncé l’établissement d’une Plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme, dans le cadre du Plan d’action du Socle européen des Droits sociaux.[1] Les membres de la plateforme (dont la Pologne) ont ratifié la Déclaration de Lisbonne en vue de travailler ensemble sur l’élimination du sans-abrisme d’ici 2030.

Dispositions juridiques existantes sur le droit au logement

Le droit au logement est défini dans le droit international comme le droit de vivre dans un logement en paix, en sécurité et avec dignité, et inclut la sécurité d’occupation, l’accès aux services, l’abordabilité, les conditions de vie adéquates et l’adéquation culturelle.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ratifié par la Pologne en 1977 est l’instrument le plus important au niveau des Nations Unies qui inscrit le droit au logement dans le cadre du droit à un niveau de vie suffisant. L’article 11, paragraphe 1, stipule : « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants ».

Chaque État membre s’engage à la réalisation progressive des droits reconnus par le Pacte au maximum de ses ressources disponibles et par tous les moyens appropriés.

Dans le système du Conseil de l’Europe, il existe deux conventions différentes : la Charte sociale européenne (CSE) et la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que le droit au logement ne soit pas inclus explicitement dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), des normes juridiques concrètes inclues dans la CEDH sont pertinentes pour la lutte contre le sans-abrisme et le mal-logement comme, par exemple, le droit à la vie (article 2), l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants (article 3), ou le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8).

La Charte sociale européenne (CSE) complète la convention précédente dans le domaine des droits économiques et sociaux. L’article 31 de la charte sociale révisée (1996) de la CSE est essentiel pour la FEANTSA car il inclut la prévention et la réduction du sans-abrisme. L’article 31 stipule : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit au logement, les Parties s'engagent à prendre des mesures destinées :

  • à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant.
  • à prévenir et à réduire l'état de sans-abri en vue de son élimination progressive.
  • à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes. »

Par ailleurs, l’article 16 de la CSE (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique) inclut également le droit au logement (pour les familles). Les notions de logement adéquat et d’expulsion forcée sont identiques en vertu des articles 16 et 31 et ont été établies par le Comité européen des droits sociaux.[2]

La Pologne a ratifié la Charte sociale européenne de 1961 (1997) acceptant 58 des 72 paragraphes de la Charte. Elle a signé mais pas encore ratifié la Charte sociale européenne révisée (2005).[3]

La Charte européenne des droits fondamentaux (2009) a inscrit certains droits au logement dans la législation européenne. Toutefois, les dispositions de la Charte s’appliquent aux institutions de l’Union et aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre la législation européenne. Il convient de noter que lorsqu’elle a signé le Traité de Lisbonne, et qu’elle a ainsi adopté la Charte des droits fondamentaux, la Pologne a accédé au Protocole britannique, qui stipule que « rien dans le titre IV de la Charte ne crée des droits justiciables ». Le titre IV de la Charte, et plus spécifiquement l’article 34, paragraphe 3, inscrit le droit à l’aide au logement pour les personnes ne disposant pas de ressources suffisantes.

Parallèlement à la reconnaissance de ces droits, les Nations Unies, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne disposent de plusieurs mécanismes permettant de faire avancer le droit au logement adéquat. Nous souhaitons mettre en lumière deux solutions permettant de faire avancer le droit au logement :

La première est le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PF-PIDESC) qui permet aux victimes de violations de droits économiques, sociaux ou culturels d’introduire des plaintes au niveau international, seules ou en tant que groupes, depuis 2013. Malheureusement, la Pologne n’a pas ratifié le protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui lui permettrait d’introduire des réclamations individuelles.

La deuxième est le mécanisme des réclamations collectives qui vise à améliorer la mise en œuvre effective des droits sociaux garantis par la Charte sociale européenne. Il permet aux ONG comme la FEANTSA d’introduire des réclamations collectives contre un État pour non-respect de la législation d’un État et d’une des dispositions de la Charte. Ces réclamations peuvent également être introduites sans épuisement des recours nationaux et sans que l’auteur ne soit victime de la violation en question. Toutefois, la Pologne n'a pas signé le protocole facultatif à la Charte sociale européenne, ni le protocole facultatif prévoyant un système de réclamations collectives, et les citoyens polonais ne peuvent dès lors pas utiliser ces instruments.

Par conséquent, les normes du droit au logement en Europe sont élevées, et les défenseurs du droit au logement devraient avoir l’ambition de le défendre au niveau local. Toutefois, concernant l’applicabilité des instruments européens et internationaux pour l’introduction de réclamations dans les cas de violations, la position des citoyens polonais est très faible et ceux-ci peuvent se reposer uniquement sur les instruments nationaux, qui sont malheureusement très limités. Ainsi, l’article 75 de la Constitution polonaise, inclus dans la section intitulée « Libertés et droits économiques, sociaux et culturels », définit dans la pratique uniquement les principes de la politique nationale du logement, abordant vaguement que « les pouvoirs publics mettent en œuvre une politique favorisant la satisfaction des besoins des citoyens en matière de logement et, en particulier, ils réagissent contre l'existence de sans-abri, accordent leur soutien au développement de logements sociaux ». Dès lors, la Constitution de la République de Pologne ne reconnait pas le droit au logement, ni ne fournit d’outil permettant de faire appliquer ce droit. Il est par conséquent souhaitable que les organisations non-gouvernementales abordant les problèmes de logement des citoyens polonais demandent aux autorités gouvernantes de signer et ratifier le plus rapidement possible les conventions susmentionnées du droit international.

La financiarisation du logement, obstacle à la garantie du droit au logement

De plus en plus de personnes dénoncent la « financiarisation » du logement en tant qu’obstacle à la réalisation du droit au logement. La « financiarisation du logement » fait référence à la domination des marchés financiers et des entreprises dans le secteur du logement. Cela se manifeste par les grandes entreprises qui traitent le parc de logement comme un investissement en capital, ce qui engendre une hausse des prix et une pénurie de logements pour les citoyens à faibles revenus et, dans les cas extrêmes, même pour les classes moyennes.

Au cœur du débat figure la contribution des plateformes de locations de séjours de courte durée comme Airbnb à la hausse des prix des locations, surtout dans les grandes villes. L’offre accrue de locations de séjours engendre une baisse de logements sur le marché locatif à long terme, devenu inabordable pour les résidents locaux. La meilleure illustration de ces cas extrêmes sont les manifestations des résidents de Barcelone contre l’impact des plateformes locatives de séjours de courte durée comme Airbnb sur la disponibilité et l’abordabilité des logements.

Récemment, un référendum a été organisé à Berlin, lors duquel les résidents de la ville ont voté pour l’expropriation d’environ 200 000 à 250 000 appartements appartenant à des entreprises. Il importe de noter que la plus grande entreprise gérant des appartements à Berlin (Deutsche Wohnen) possède pas moins de 113 000 appartements. L’initiative relative à l’expropriation visait à remettre les appartements appartenant à de grandes entreprises immobilières sous contrôle public. L’objectif était de lutter contre la privatisation des logements sociaux mise en œuvre à Berlin au cours de ces 20 dernières années, supposée être responsable de la hausse des grands promoteurs privés et de la hausse des loyers.

Le problème de la « financiarisation » se manifeste, bien évidemment, dans les grandes villes polonaises, en raison de l’accumulation d’appartements en tant qu’investissements en capital et pour des raisons de tourisme. Dans un futur assez proche, il pourrait s’avérer aussi grave que la « reprivatisation »[4], l’inversion de la nationalisation de l’immobilier après l’effondrement du régime communiste, engendrant le harcèlement et l’expulsion des locataires, notamment à Varsovie, mais également dans d’autres grandes villes comme Cracovie ou Lodz.

Dans un rapport de 2017, l’ancienne Rapporteuse spéciale de l’ONU Leilani Farha a demandé des changements structurels au niveau du marché du logement et des marchés financiers qui considèrent le logement comme un bien commercialisable. Une des principales propositions du rapport est de permettre aux États de « réclamer la gouvernance des systèmes de logement aux marchés mondiaux du crédit ».[5] Les conclusions du rapport et les visites de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit au logement convenable ont été présentées dans le documentaire « PUSH » en 2019, qui sont malheureusement passées pratiquement inaperçues en Pologne.[6]

En conclusion, il convient de souligner qu’en l’absence de cadre réglementaire ou de mécanisme de mise en vigueur à l’interface entre les marchés financiers et le parc de logement, tous les acteurs financiers doivent néanmoins respecter les normes applicables en matière de droits humains.[7] Par ailleurs, les législations internationales présentées dans le présent document peuvent s’avérer être une arme efficace contre la « financiarisation ». Raison pour laquelle il est très important de lutter pour leur ratification complète en Pologne.

Maria J. Aldanas est chargée de mission à la FEANTSA, la Fédération européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri, une fédération basée à Bruxelles qui compte des membres dans la plupart des pays européens. Elle coordonne actuellement le réseau Housing Rights Watch, un réseau européen pluridisciplinaire d’associations, d’avocats et de chercheurs de différents pays, qui se sont engagés à promouvoir le droit au logement.

Jakub Wilczek est cofondateur et président de la Fédération nationale polonaise de lutte contre le sans-abrisme, vice-président et représentant de la Pologne à la FEANTSA, et membre du Comité d’experts pour lutter contre le sans-abrisme de l’ombudsman polonais. Il coordonne des projets qui aident les personnes vulnérables qui sortent du sans-abrisme pour les réintégrer dans la société et qui diffusent les bonnes pratiques pour lutter contre le problème du sans-abrisme. Il facilite également la coopération dans le secteur des ONG.


[2] Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) v. Italy Complaint No. 58/2009

[4] Reprivatisation en Pologne. Après la chute du communisme en Pologne en 1989, certaines des propriétés précédemment nationalisées ont fait l’objet d’une reprivatisation et ont été restituées à leurs anciens propriétaires, à leurs héritiers ou autres ayants-droits.

[5] Rapport de l’ONU, A/HRC/34/51

 

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