Protéger le droit à l’énergie en Europe

Maria J. Aldanas

Coordinatrice Housing Rights Watch

Alors que les prix de l’énergie continuent d’augmenter en Europe, cette situation menace non seulement les ménages à faibles revenus en situation de précarité énergétique, mais aussi les ménages de la classe moyenne qui voient leurs revenus disponibles chuter en raison de la crise énergétique.  
À Housing Rights Watch, nous avons abordé pour la première fois la relation entre le droit au logement convenable et le droit à l’énergie. Les organisations travaillant avec les ménages vulnérables, comme la FEANTSA, demandent de plus en plus aux États membres de l’UE de prendre des mesures immédiates pour protéger le droit à l’énergie. Ces mesures incluent notamment l’interdiction des déconnexions, mais également la fourniture d’une quantité minimale d’énergie pour tous, en établissant des tarifs sociaux et en renforçant les droits des consommateurs pour éviter les arriérés de factures d’énergie.

 

Législation internationale en matière des droits de l’homme

Si le droit à l’énergie en tant que tel n’est pas directement reconnu dans la législation internationale relative aux droits de l’homme, il s’inscrit dans d’autres droits tels que le droit à un niveau de vie suffisant prévu à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux : « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants. »[1] Le droit au logement selon le Comité des droits économiques et sociaux des Nations Unies comprend : l’énergie, la cuisine, l’éclairage et le chauffage. [2]

Ce comité a publié des recommandations concrètes pour les États concernant l’accès à l’électricité et au gaz. Le comité a recommandé à l’Allemagne d’adopter des mesures efficaces pour faire en sorte que tous les ménages soient en mesure de répondre à leurs besoins de base en électricité, en évitant les déconnexions pour les ménages qui ne sont pas en mesure de payer leurs besoins minimums. Il a recommandé à la Belgique de prendre les mesures nécessaires pour assurer un approvisionnement minimal en énergie, même lorsqu’un compteur a été installé. Il leur a également recommandé d’élargir la couverture pour les bénéficiaires d’un tarif social en allouant davantage de ressources financières au fonds du gaz et de l’électricité.[3]

C’est probablement au niveau du droit à l’eau que le langage juridique est plus fort par rapport aux coupures. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable s’est exprimé sur ce sujet, déclarant que « les régulateurs devraient interdire les déconnexions dues à l'incapacité de payer ». En outre, il affirme que les coupures d’énergie constituent une mesure régressive et qu’elles violent le droit humain à l’eau et à l’assainissement.

Certains de ces droits internationaux font l’objet de décisions de tribunaux mais n’ont pas toujours été traduits aux niveaux national et régional dans la majorité des pays.  

Cadre de l’UE

Le socle européen des droits sociaux, qui est censé soutenir la dimension sociale de l’UE, englobe le principe n° 20 « Accès aux services essentiels », incluant l’eau, l’assainissement, l’énergie, les transports, les services financiers et les communications numériques. Toutefois, le socle européen des droits sociaux n’est pas juridiquement contraignant.

Tant la directive relative aux marchés de l’électricité[4] que la directive relative aux marchés du gaz[5] demandent aux États membres de l’UE de veiller à garantir une protection adéquate des consommateurs vulnérables. Dans la directive sur l’électricité, la définition des consommateurs vulnérables (article 28) est laissée à la discrétion des États membres et peut faire référence à la précarité énergétique et donne aux Etats la possibilité d’interdire les déconnexions à ces clients lorsqu'ils traversent des difficultés. Ce terme peut également faire référence à certains niveaux de revenus, à la part des dépenses d'énergie dans le revenu disponible, à l'efficacité énergétique des logements, ou à la forte dépendance à des équipements électriques pour des raisons de santé, d'âge ou d'autres critères.

La directive relative à l’eau potable[6] a servi de modèle pour garantir une quantité minimale d’énergie. Son article 16 prévoit que les États membre prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés tels qu’ils sont définis par les États membres. À cette fin, les États membres doivent prendre les mesures qu’ils jugent nécessaires et appropriées afin de garantir l’accès à l’eau destinée à la consommation humaine pour les groupes vulnérables et marginalisés.

La notion de clients vulnérables dans la législation de l’Union est plus étroite que celle que l’on trouve dans la littérature universitaire. Ils sont définis dans la directive sur les pratiques commerciales déloyales, qui exige une protection supplémentaire pour les consommateurs qui sont « particulièrement vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité ». Cette définition a fait l’objet de nombreuses critiques, car elle ne tient pas compte des différentes variables qui peuvent rendre les consommateurs vulnérables. Des dispositions protégeant les consommateurs vulnérables figurent dans d’autres législations horizontales en matière de protection des consommateurs, ainsi que dans des législations relatives à des secteurs spécifiques, par exemple dans les domaines de l’énergie, des finances et de la législation alimentaire.[7]

La Commission a adopté en octobre 2022 une communication sur les prix de l’énergie, pour faire face à la hausse exceptionnelle des prix mondiaux de l’énergie, qui devait durer tout l’hiver. Celle-ci incluait entre autres la possibilité de mettre en place des garanties pour éviter les déconnexions du réseau.  

La Commission européenne (DG Énergie) et des représentants de haut niveau des organisations européennes de consommateurs, des régulateurs, des distributeurs et des fournisseurs d’énergie ont défini un terrain d’entente pour des mesures volontaires supplémentaires de protection des consommateurs qui vont au-delà du cadre réglementaire existant tout au long de cet hiver. Une déclaration conjointe sur le renforcement de la protection des consommateurs cet hiver encourage les entreprises, les organismes de réglementation et les organisations de consommateurs à mettre en œuvre des mesures spécifiques pour soutenir les consommateurs durant la crise énergétique au moins jusqu’à la fin mars 2023.[8] Les fournisseurs devraient proposer aux clients des solutions individualisées en fonction de leur situation individuelle : ils sont encouragés à exploiter au maximum leurs moyens d’appliquer ces solutions, en incluant des alternatives aux coupures énergétiques jusqu’à la fin mars 2023, en particulier pour les clients confrontés pour la première fois à des difficultés de paiement de leurs factures d’énergie.  

La Commission européenne travaille actuellement sur une nouvelle initiative visant à protéger les consommateurs vulnérables en matière d’énergie. Nous ne savons pas encore de quel instrument il s’agira mais il se concentrera sur une obligation de transparence des contrats et des recours, et sur l’interdiction des déconnexions, en s’appuyant sur l’expérience de la période COVID.

Pratiques nationales

En réponse à la COVID-19 et à la crise actuelle du coût de la vie, plusieurs États membres de l’UE ont introduit ou renforcé des interdictions de coupures d’énergie.[9] Ces mesures se sont avérées rapides et clairement protectrices. Voici quelques exemples en Europe :

  • En France, il existe depuis 2013 une interdiction des coupures électrique en hiver. Les fournisseurs d’énergie ne peuvent pas déconnecter les clients du réseau entre le 1er novembre et le 31 mars. En outre, le fournisseur d’énergie EDF, qui concentre 70% des ménages français, a annoncé une politique volontaire de ne pas déconnecter ses consommateurs et d’introduire à la place un niveau minimum garanti de fourniture de services.[10]
  • Les coupures d’énergie sont illégales en Espagne lorsqu’elles sont appliquées aux consommateurs vulnérables et aux personnes menacées d’exclusion sociale. Cette mesure a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2023.
  • En Grèce, il existe une interdiction nationale des déconnexions pour les groupes vulnérables durant l’hiver (novembre à mars) et l’été (juillet et août).[11]
  • En Irlande, la Commission for the Regulation of Utilities (CRU) a annoncé qu’elle ne couperait l’électricité à quiconque entre le 1er décembre 2022 et le 28 février 2023.
  • A Bruxelles, toutes les déconnexions du réseau doivent être autorisées par un juge, qui vérifie qu’une procédure stricte (qui comprend une notification au centre public des services sociaux) a été respectée et que la coupure n’est pas abusive. Il existe une trêve hivernale, ce qui implique qu’aucune déconnexion n’est autorisée entre le 1er octobre et le 31 mars. Si une coupure est autorisée, le ménage sera approvisionné par le GRD (agissant en tant que fournisseur social) au tarif social jusqu’au 31 mars 2023.   

Malgré ces bons exemples, la protection varie énormément d’un pays de l’UE à l’autre, et il est possible de s’appuyer sur ces expériences pour garantir un droit fondamental à l’énergie en Europe.

Un rapport sur le « Droit à une énergie propre et abordable pour tous les Européens » publié par EAPN/FSESP[12] a recommandé début 2022 d’interdire toutes les déconnexions et de prendre des mesures efficaces pour empêcher les déconnexions des utilisateurs de compteurs avec fonction de prépaiement et de maintenir des prix réglementés au-delà de 2025, les reconnaissant comme un outil essentiel pour garantir le droit à l’énergie pour tous les ménages.

Plusieurs organisations, telles que la plate-forme européenne Right to Energy Alliance, ont demandé une interdiction des déconnexions avant même la pandémie.[13] Plus récemment, des organisations telles que Greenpeace, membre de la coalition, ont insisté sur la nécessité d’offrir aux citoyens un niveau minimum de protection en interdisant les déconnexions dans l’UE.[14]

Housing Rights Watch travaille actuellement avec ses partenaires européens, notamment la Fondation Abbé Pierre, pour demander à la Commission européenne un droit à l’énergie pour tous les ménages européens. Nous pensons que l’énergie est plus que jamais un droit fondamental et que l’accès à celle-ci doit rester au cœur de la transition énergétique et de la lutte contre la pauvreté.  

 

 




[1] Hesselman, M, Right to Energy (2022) Elgar Encyc. of HR.

[2] Observation Générale n° 4

[3] Hesselman, M, Vers un droit minimum à l’énergie ?
Marlies Hesselman – Université de Groningen (2022) https://www.fondation-abbe-pierre.fr/europe-en-finir-avec-les-coupures-denergie

[7] BRIEFING EPRS | Service de recherche du Parlement européen, Auteur: Nikolina Šajn. Service de recherche des members PE 690.619 – Mai 2021 EN. Consommateurs vulnérables

https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2021/690619/EPRS_BRI(2021)690619_EN.pdf

[8] The Joint Declaration on enhanced consumer protection this winter which was signed by the representatives of consumer organisations, regulators, energy suppliers and distributors (BEUC, CEER, Eurelectric, Eurogas, EER, EU DSO Entity, E. DSO, CEDEC and GEODE) on 12 December. https://energy.ec.europa.eu/news/enhanced-crisis-response-strong-push-consumer-protection-winter-2022-12-12_en

[9] See the mapping of energy related measures in this map: https://www.covidenergymap.com/

[12] Briefing sur la garantie du droit à une énergie propre et abordable pour tous les Européens | EAPN-EPSU https://www.eapn.eu/wp-content/uploads/2022/02/eapn-2022-Right-to-Energy-briefing-EPSU-EAPN_EN-5354.pdf

 
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