Sans-abrisme et handicaps: l’impact des récents développements en matière de droits de l’homme dans les politiques et pratiques

Au fil des ans, on est progressivement passé du modèle médical du handicap qui se concentrait sur les handicaps des personnes au modèle social du handicap, qui englobe une compréhension des obstacles systémiques, des attitudes négatives et de l’exclusion par la société que rencontrent les personnes handicapées. Selon ce modèle, c’est la société qui contribue à handicaper ces personnes.

Avec l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (UNCPRD)[1], il est maintenant établi que le handicap est un problème qui relève des droits de l’homme. Une approche basée sur les droits en matière de handicap implique que toutes les personnes concernées ont des droits juridiques et que les personnes handicapées doivent participer dans toutes les sphères de la société sur un même pied d’égalité que les personnes qui ne sont pas handicapées.

La Convention de l’ONU développe la signification du droit au logement adéquat pour les personnes handicapées et instaure un nouveau cadre de référence pour le respect de leur droit au logement adéquat via l’article 28 relatif au niveau de vie suffisant et à la protection sociale[2].

Les personnes handicapées sont très différentes les unes des autres et doivent faire face à une discrimination et à des problèmes qui dépendent du contexte. Chaque personne handicapée a des besoins différents en matière d’accompagnement, certains n’ayant aucun besoin d’accompagnement alors que d’autres nécessitent une prise en charge multiple. Cet accompagnement doit être disponible pour faciliter le respect du droit au logement adéquat pour tous.

Le sans-abrisme est un processus qui affecte de nombreuses personnes à différents moments de leur vie. La Typologie européenne du sans-abrisme et de l’exclusion liée au logement[3] (ETHOS) commence par la compréhension de la notion qu’il existe trois domaines qui constituent un « domicile » (« home »), dont l’absence peut être prise pour définir le sans-abrisme. Les personnes handicapées peuvent se retrouver dans toutes les catégories de l’ETHOS qui représentent toutes les formes de sans-abrisme en Europe.

Si les études et les données sont assez limitées, il est manifeste qu’il existe des liens étroits entre les personnes qui souffrent de problèmes de santé à long terme et de handicap et les personnes qui sont sans domicile ou menacées de sans-abrisme, et certains problèmes méritent d’être pointés du doigt :

  • Les personnes handicapées ont beaucoup plus de chance de se retrouver sans domicile et exclues socialement à cause de la prévalence de l’institutionnalisation, de la discrimination au niveau de l’accès aux services, des aides sociales inadéquates, de la pénurie de logements accessibles et abordables et des loyers inabordables.
  • Les situations de sans-abrisme sont souvent provoquées par un ensemble complexe de facteurs structurels, institutionnels, sociétaux et personnels. Les études ont démontré des liens clairs entre le sans-abrisme et la vie en institution. Il est essentiel de garantir que la sortie d’institutions soit accompagnée de services communautaires de qualité, incluant des options de logement accessibles et abordables, afin d’éviter des situations de sans-abrisme pour les personnes qui sortent d’institutions pour intégrer la société.
  • La stigmatisation et la discrimination ont été identifiées comme étant deux facteurs importants de sans-abrisme pour les personnes handicapées, surtout pour les personnes souffrant de handicaps psychosociaux. La stigmatisation et la discrimination engendrent des obstacles au niveau du logement et de l’accès à d’autres services sociaux. Un troisième facteur est l’absence de services communautaires et/ou le manque d’accès aux soins hospitaliers.
  • En outre, il importe de sensibiliser la société sur le handicap et le sans-abrisme afin de permettre aux personnes handicapées de connaître leurs droits et de pouvoir les exercer.  

Au cours de ces dernières années, différents documents et rapports internationaux en matière de droits de l’homme ont fourni une synthèse des approches dans les deux secteurs. Il convient de mentionner surtout le Rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit au logement convenable en 2017 auquel la FEANTSA a contribué en partenariat avec le Forum européen des personnes handicapées. La Rapporteuse spéciale y analyse le droit au logement des personnes handicapées[4]. Elle offre un panorama de leurs problèmes de logement, de l’institutionnalisation au sans-abrisme en passant par le logement inadéquat et les expériences de stigmatisation et d’exclusion, liés à une large gamme d’handicaps.  

Le rapport considère que le « modèle des droits de l’homme pour les personnes handicapées » a le potentiel d’influencer « le droit au logement convenable ».  Dans ses conclusions, le rapport établit un lien entre le sans-abrisme et le handicap au paragraphe 20 : Le sans-abrisme affecte disproportionnellement les personnes handicapées. Dans un cercle vicieux, le handicap engendre souvent des situations de sans-abrisme alors que le sans-abrisme engendre ou exacerbe souvent des situations de handicap.

Le rapport souligne les principes fondamentaux d’une approche basée sur les droits de l’homme en matière de handicap, tels que la dignité, l’égalité, l’accessibilité et la participation, et l’obligation de respecter le droit au logement dans la mesure des ressources disponibles, et établit un lien entre ces principes et les caractéristiques principales du droit au logement convenable. En outre, la Rapporteuse explique la façon dont le droit au logement pourrait être réclamé par les personnes handicapées et statués par les tribunaux. Elle analyse également quelques initiatives politiques et législatives qui sont nécessaires pour mettre en œuvre ce droit. En Europe, par exemple, le rapport mentionne l’approche finlandaise comme une bonne pratique pour défendre le droit au logement des personnes handicapées.

Mme Farha conclut son rapport par des recommandations. Pour ne citer que les plus importants, nous pouvons mentionner la nécessité pour les États de :

  1. Reconnaître dans la législation nationale l’obligation de respecter le droit au logement des personnes handicapées dans la mesure des ressources disponibles.
  2. Garantir que les dispositions relatives à la non-discrimination se basent sur l’égalité, en reconnaissant les obligations positives pour lutter contre les inégalités systémiques au niveau du logement.
  3. Garantir que toues les personnes handicapées puissent être désinstitutionnalisées et que l’accent soit placé sur l’accès au logement convenable, les services nécessaires et l’accompagnement adéquat.
  4. Garantir l’accès à la justice et aux mécanismes de responsabilisation efficaces pour l’accès au droit au logement convenable.
  5. Adopter un cadre politique clair pour l’inclusion des toutes les personnes handicapées dans toutes les politiques de logement.
  6. Développer et mettre en œuvre une collecte de données qualitatives et quantitatives sur les problèmes de logement des personnes handicapées.
  7. Lutter contre le sans-abrisme parmi les personnes handicapées et placer l’accent sur les mesures qui luttent contre les problèmes des personnes qui vivent dans des quartiers informels ou dans des camps pour sans-abri.

Observation générale n° 5

L’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées établit les obligations pour les États en matière de respect du droit des personnes handicapées de vivre de façon autonome et d’être inclues dans la société.

Article 19 – Autonomie de vie et inclusion dans la société

Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que : 

a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;

b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ; 

c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins.

L’Observation générale n° 5 sur l’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées[5] approuvée en 2017 vise à aider les États parties à remplir leurs obligations en vertu de cet article. La version finale englobe les principales demandes et inquiétudes des acteurs de la société civile et les institutions ne sont plus présentées comme une alternative viable aux services à ancrage local. Les personnes présentant des besoins complexes d’accompagnement, comme les personnes sans domicile, ont le droit de vivre en dehors des institutions. Il importe dès lors de développer des stratégies claires et ciblées en matière de désinstitutionalisation.

Les enfants ont le droit de grandir dans leurs familles. Par conséquent, les familles doivent bénéficier d’informations, de conseils et d’aide. Cela inclut une aide financière. Toutefois, les familles ne devraient pas être la seule option pour les personnes handicapées qui souhaitent vivre de façon autonome. Un accompagnement formel doit être mis à leur disposition et les États doivent développer des plans d’action concrets pour assurer cet accompagnement.

Les personnes handicapées et l’Union européenne

La ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées par l’Union européenne a été un tournant pour les droits des personnes handicapées. L’UE et 27 de ses États membres se sont engagés à respecter l’autonomie des personnes handicapées.

La Stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées est le principal instrument pour soutenir la mise en œuvre par l’UE de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

En novembre 2017, une résolution a été adoptée par le Parlement européen en regard de la mise en œuvre de la Stratégie européenne en faveur des personnes handicapées[6] invitant les États membres à s’assurer que la désinstitutionalisation n’engendre jamais de situation de sans-abrisme pour les personnes handicapées à cause du manque de logements adéquats et/ou accessibles. Elle a également demandé à la Commission et aux États membres de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre les personnes les plus vulnérables, telles que les personnes handicapées sans domicile.

Un avis du Comité économique et social européen (2016)[7] a inclus une recommandation pour l’Union européenne de « développer un système d’indicateurs basé sur les droits en collaboration avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent. »

L’UE a développé un cadre pour les questions qui relèvent de la compétence de l’Union qui complète les cadres nationaux de suivi. Ce cadre est chargé de promouvoir, protéger et suivre le respect de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées dans les États membres de l’Union. L’Agence des droits fondamentaux est membre de ce cadre, ainsi que le Parlement européen, l’Ombudsman européen et le Forum européen en faveur des personnes handicapées. Il importe de rappeler que l’article 26 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE inclut l’intégration des personnes handicapées : L’Union reconnait et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.

Des récents rapports de l’Agence des droits fondamentaux, en tant qu’organisme indépendant de l’UE qui fournit une aide et une expertise en matière de droits fondamentaux à l’Union et à ses États membres, révèlent la nécessite d’adopter des changements systémiques dans l’organisation et le financement de l’accompagnement des personnes handicapées dans l’UE. Ces rapports ont analysé les programmes de désinstitutionalisation. Ils ont également analysé le financement et l’impact de ces programmes sur les personnes handicapées[8]. L’Agence travaille également sur un projet de transition des soins en institutions vers des soins communautaires pour les personnes handicapées et développe à cette fin des indicateurs en matière de droits de l’homme pour permettre l’évaluation du respect de l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées[9], le droit à la vie autonome. L’Agence tient compte du niveau structurel, des procédures et des résultats. La structure englobe les aspects plus institutionnels des engagements en matière de droit fondamentaux (législation et politiques en place, existence de mécanismes, ressources) ; les procédures concernent les initiatives prises pour respecter ces engagements, comme les mesures politiques appliquées, l’efficacité et la portée des mécanismes ; et enfin les résultats analysent la situation sur le terrain, comme la connaissance réelle des droits.

COMMENT CES RÉCENTS DÉVELOPPEMENT EN MATIÈRE DE DROITS DE L’HOMME IMPACTENT-ILS LES POLITIQUES ET PRATIQUES ?

En novembre 2017, des organisations travaillant avec les sans-abri et des experts du handicap se sont réunis à Galway (Irlande) et les récents développements en matière de droits de l’homme ont été présentés[10].

Nous avons observé lors de cette réunion des axes parallèles au niveau du dialogue : d’une part l’accès au logement (problèmes d’abordabilité, etc.) et d’autre part la désinstitutionalisation (services communautaires et fourniture de services adaptés).

Les acteurs sur le terrain ont confirmé le lien étroit entre le handicap et le sans-abrisme mais ont toutefois convenu que les deux secteurs ne travaillent normalement pas ensemble. Cela s’explique notamment par les responsabilités des différents départements locaux : des services totalement séparés au niveau local abordent les besoins des personnes handicapées et des personnes sans domicile.

La protection renforcée des droits des personnes handicapées au niveau international et au niveau européen n’a pas encore permis d’améliorer les politiques et les pratiques en Irlande. Les travailleurs sociaux présents à la réunion ont souligné le besoin d’adopter des changements systémiques au niveau de l’accompagnement des personnes handicapées, en évitant les institutions et en plaçant l’accent sur des services communautaires. Le manque de ressources pour ces services est inquiétant.

Un rapport publié par Inclusion Ireland sur la désinstitutionalisation dans ce pays[11] a conclu que la politique publique ne permettait pas la transition vers les services communautaires. Bien que la vie dans la communauté soit meilleure pour les personnes handicapées, les institutions restent la solution principale. Selon ce rapport, de nombreuses personnes en Irlande ne pensent pas que les personnes handicapées soient prêtes à vivre dans la société et il n’y a pas assez de fonds pour atteindre cet objectif.

Les services d’aide aux sans-abri ont dénoncé les obstacles relatifs à l’accès aux services traditionnels : les hébergements temporaires et d’urgence sont rarement adaptés aux personnes souffrant de handicap (physique). Il importe de placer l’accent sur les solutions dirigées vers le logement pour lutter contre le sans-abrisme.

Il y a eu une brève discussion sur l’utilisation de l’approche du logement d’abord, notamment pour les personnes sans domicile avec des besoins complexes. Une nouvelle fois, la pénurie de logements adéquats est le principal obstacle pour mettre cette approche en œuvre.  Des études récentes en Europe démontrent que l’approche du logement d’abord pourrait être positive pour les personnes avec des besoins élevés d’accompagnement[12]. En réalité, les principes du logement d’abord sont étroitement liés au paradigme du handicap, notamment au niveau des choix individuels, de l’accent sur la personne et de l’accompagnement flexible englobant l’intégration dans la communauté. Les experts ont affirmé que de nombreuses actions devaient encore être prises avant de pouvoir traduire le modèle de la vie indépendante dans les services d’aide aux sans-abri​.

L’UE et les États membres ont un rôle important à jouer pour promouvoir l’inclusion des personnes sans domicile souffrant de handicap, conformément au renforcement de la protection des droits des personnes handicapées au niveau européen et au niveau international. L’UE doit aider les États membres à refléter ces obligations dans les politiques et pratiques via des financements, des mécanismes de suivi, etc. 

 




[1] Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées: http://www.un.org/french/disabilities/default.asp?id=1413

[2] Le droit au logement adéquat pour les personnes handicapées vivant dans les villes (EN) https://unhabitat.org/books/the-right-to-adequate-housing-for-persons-with-disabilities-living-in-cities/

[3] Typologie européenne de l’exclusion liée au logement: https://www.feantsa.org/download/fr___2525022567407186066.pdf

[4] Rapport annuel de la RS sur le droit au logement convenable : accent sur le droit au logement convenable des personnes handicapées : :http://www.ohchr.org/EN/Issues/Housing/Pages/AnnualReports.aspx

[5] Observation générale n° 5 sur l’article 19 de la CRPD : Autonomie de vie et inclusion dans la société : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/CRPD/CRPD.C.18.R.1-ENG.docx

[6] Résolution du Parlement européen du 30 novembre 2017 sur la mise en œuvre de la Stratégie européenne en faveur des personnes handicapées (2017/2127(INI)) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2017-0474&language=EN&ring=A8-2017-0339

[7] Avis du Comité économique et social européen (2016) sur les « Observations finales du comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies — Une nouvelle stratégie en faveur des personnes handicapées dans l’Union européenne » : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52016IE0695&from=EN

[9] Indicateurs en matière de droits de l’homme sur l’article 19 de la CRPD: http://fra.europa.eu/en/project/2014/rights-persons-disabilities-right-i...

[11] Inclusion Ireland (2018). De-institutionalization in Ireland: a failure to act: http://www.inclusionireland.ie/sites/default/files/attach/basic-page/1655/deinstitutionalisation-ireland-failure act.pdf

[12] Pleace, N., Culhane, D.P., Granfelt, R. et Knutagård, M. (2015) The Finnish Homelessness Strategy: An International Review Helsinki: Ministry of the Environment; Bretherton, J. et Pleace, N. (2015) Housing First in England: An Evaluation of Nine Services; Blood, I., Copeman, I., Goldup, M., Pleace, N., Bretherton, J. & Dulson, S. (2017) Housing First Feasibility Study for the Liverpool City Region, London: Crisis.

 

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